L’INTRA-VIE DE NORG
A l’origine, mon ancêtre était allumeur de réverbères. Au XIX siècle, il allumait ou plutôt j’oserai dire il illuminait la nuit. Il introduisait de la lumière dans le noir d’une façon linéaire. Cet homme qui était mon arrière, arrière-grand-père exécutait son rôle social suivant un parcours balisé et un itinéraire banalisé. Pendant des années, il répétait donc machinalement ce geste : porter une flamme pour illuminer chaque nuit venant.
On peut imaginer que le cerveau ritualisé de cet homme a peut-être inscrit une empreinte dans mon processus de création : réveiller le noir pour éteindre la flamme et faire le passage avec le jour.Cette réflexion sur mon archéologie mentale me permet aujourd’hui d’éclaircir ma conscience et de mieux comprendre instinctivement la force de la lumière sur l’incompréhensible, voire la forme noire du chaos irraisonné. Avec le recul et la maturité, je peux aujourd’hui affirmer que l’empreinte de cette histoire familiale nourrit et donne du sens à ma création.
Par ailleurs, la mythologie et la philosophie sont aussi les sources de ma réflexion créatrice. La chouette, oiseau d’Athéna, symbolise la connaissance rationnelle, l’intelligence, le don de clairvoyance et la réflexion qui domine les ténèbres.
Le philosophe allemand Friedrich HEGEL (1770-1831) précise que « la chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit. Ainsi la philosophie, animal du soir, inspiratrice des travaux finis, ne réfléchit aux formes de la vie que quand ces formes de la vie sont mortes ».
Philosopher, c’est au moins durant quelque temps, cesser d’être dans le feu d’action afin de méditer calmement sur tous les êtres humains qui ont vécu et créé au cours de leur histoire. Jusqu’à l’âge de 25 ans, j’étais dans la nuit de l’ignorance et un être paumé. Puis le début de ma conscience raisonnée a développé la lumière du sens, cherchant à comprendre le pourquoi du pourquoi. Jusqu’à l’adolescence, j’ai eu une vie normale. Puis, tout a basculé. J’ai quitté l’école et je suis rentré dans une masse sombre. Je suis rentré en apprentissage de pâtisserie du jour au lendemain. J’étais isolé du collectif de l’école et je subissais une violence paternelle qui ne faisait qu’augmenter. J’ai perdu toute forme d’estime de moi et j’étais plein de haine envers moi-même et envers les autres. Tout ce vécu a développé une allergie très forte contre l’autorité. Cela a duré des années. J’ai raté mes examens et j’ai refoulé de nombreux épisodes de ma vie.
J’ai appris d’autres métiers manuels, avec une chape de vide, dans un brouillard toujours plus envahissant. J’étais un homme brisé qui s’ignorait, déstructuré et traversé par des pulsions de mort et des fantasmes mortifères. Mais, ces différentes expériences m’ont transmises une connaissance affûtée des matériaux et des outils. Quelques années plus tard, la rencontre avec un professeur de philosophie et de français et la fréquentation régulière d’un psychiatre ont été déterminants dans ma vie et m’ont permis de me redresser, grâce à la culture que je dévorais. Je me suis réveillé, sortant du gouffre relationnel et j’ai repris contact avec ma famille.
Tout ce parcours explique pourquoi je suis si sensible à l’équilibre des contraires et toute ma pensée artistique est basée sur l’idée de contraste : les tons froids et chauds, les formes rondes et carrées, l’ombre et la lumière, la mécanique et l’organique.
Armé de mes pinceaux et la plume à la main, comme deux épées de guerrier, j’ai pu marcher vers une illusion d’infini, ignorant encore l’incommensurable immensité à parcourir en traquant une surface, toile et feuille blanche, mes champs de bataille, y mêlant mes noires expériences où je marchais pour guérir. Ainsi, j’ai pu concevoir le paradigme de ma réflexion en lien avec l’idiosyncrasie de mon passé. J’ai réfléchi et j’ai conçu un système fondé sur trois trilogies formant elles-mêmes une géométrie : un carré dans un cercle qui cristallise une matrice, métaphore de soi et du monde. (Voir illustration de Norg). A partir de ce moment-là, j’ai pu commencer réellement à créer à partir de cette construction qui est pour moi une matrice. Il m’a semblé intéressant d’insuffler sur l’histoire de ces trois forces de vie (fondamentaux, couleurs, psyché), la poétique de ma sensibilité en y introduisant différentes techniques (huile, acrylique, dessin…) d’autres dispositifs et les sensibles rapports de force que l’on trouve dans la nature (ombre-lumière, mécanique-organique), et travailler sur les tons et les formes par contraste.
Mes premières toiles furent totalement géométriques, vierges de toute narration. Ensuite, une écriture impressionniste balafra la totalité de l’espace, par opposition comme une deuxième peau.
Plus tard, j’ai introduit un concept, « le clonage » qui me permet de questionner « l’identité », le rapport de l’individu au monde et d’interroger « la liberté ». En partant du test de Rorschach, ma technique mise au point, permet de la combiner à mon jeu d’ombres et de lumières. Cela fait écho à mon passé (haine-amour, paraître-être, ignorance-savoir) et à une allégorie, celle de la caverne de Platon.
L’expérience et la réflexion sur mon travail ne rentrent dans aucun mouvement ou courant artistique. Je me suis approprié le terme de post-synthétisme que j’explique par la recherche en permanence des rapports binaires et de l’essence lumineuse cachée pour la rendre visible et la transcender : « la fusion extrême de ce point diamanté » dont parle René Char.
Je touche en pensée et je traduis par la main, tous ces fragments sensibles et opposés, tel un passeur pour tendre vers l’idée de totalité. J’essaie d’être un magicien, un prêtre qui égalise les contraires pour les faire apparaître, conciliés, par la ligne, la couleur, la forme, de façon supra-personnelle.
Finalement, dans mon univers pictural et sculptural, l’important est d’être toujours vigilant à l’ignorance inconsciente de l’objet crée et de sentir et de faire au plus près du vrai en étant toujours à l’écoute et à l’étude de son évolution…
« De ceux qui sont restés et ceux qui sont passés de l’autre côté du miroir, c’est cela un artiste ou un homme délivré de ses chaînes »
NORG
NORG’S INTRA-LIFE
Originally, an ancestor of mine was a lamplighter. In the 19th century, he light up, or rather, I would dare say, he illuminated the night. He introduced light into darkness in a linear fashion. This man who was my great, great grandfather, executed his social role following a marked path and a trivialized itinerary. During years, he then repeated mechanically the same gesture: carrying around a flame in order to illuminate each coming night.
We can imagine that the ritualized brain of this man might have carved a print into my creative process: awakening the darkness in order to put out the flame and transition into the day.
This reflection of my own mental archeology allows me, today, to clarify my conscience and to better understand instinctively the power that light has over the incomprehensible, or even, the black form, of unreasoned chaos.
With hindsight and maturity, today I can affirm that the mark of this family history nourishes and gives sense to my creation.
Furthermore, mythology and philosophy are also the sources of my creative reflection. The owl, Athena’s bird, symbolizes rational knowledge, intelligence, the gift of clairvoyance, and the reflection that dominates over darkness.
The German philosopher Friedrich Hegel (1770-1831) remarks that “Minerva’s owl only takes off at nightfall. Likewise, the philosophy, animal of the night, the inspiration of accomplished jobs, only reflects upon forms of life when these same forms are dead.”
At least for some times, philosophy ceased to be in the heat of the moment in order to calmly meditate on all human beings who have lived and created in the course of their history.
Until the age of 25 years old, I was in the darkness of ignorance and a lost being. Then, the rise of my rational consciousness gave way to the light of meaning, amidst a search for an understanding of the why of the why.Until adolescence, I had a normal life. Then, everything changed. I dropped out of school and dove into a dark mass. I started a baking apprenticeship overnight. I was isolated from the school’s collectivity and I endured a paternal violence that only continued to grow. I lost all forms of self-esteem and was full of anger towards others and myself. This experience as a whole developed in me a very strong allergy towards authority. This lasted for years. I failed my exams and turned away from several of my life’s episodes.
I learned other manual occupations, with a screed of emptiness, in an always more intrusive fog. I was a broken man who ignored himself, unstructured and traversed by urges of death and of mortiferous ghosts.
However, these different experiences have transmitted to me a knowledge that was honed by materials and tools.
Some years later, both meeting a French and philosophy professor and undergoing a regular counseling with a psychiatrist proved to be decisive factors in my life, allowing me to straighten myself out, thanks to the culture that I was then devouring. I woke up, coming out of a rational abyss, and I got back in touch with my family.
This entire journey explains why I am this sensitive to the equilibrium of opposites and why all of my artistic thinking is based on the idea of contrasts: cold and warm tones, round and squared forms, shadow and light, mechanical and organic.
Armed with my brushes and my feather at hand, like a warrior’s two swords, I was able to walk towards an illusion of infinity, ignoring the incommensurable immensity that is to be crossed while sorting out the surface, the canvas and the white page. These are my battlegrounds, into which I mix dark experiences that I walk through in order to recover myself. This way, I was able to conceive the paradigm of my reflection in connection with the idiosyncrasy of my past. I have reflected and I have conceived of a system founded upon three trilogies which themselves form a geometry: a square inside a circle that crystallizes a matrix, a metaphor of the self and the world (See Norg’s illustration). From this moment on, I have been able to really start creating from this construction, that is a matrix to me. It appeared to me interesting to instill in the history of these three life forces (fundamentals, colors, psyche), the poetics of my sensibility, introducing to them different techniques (oil, acrylic, drawing…) from other devices and from the sensitive balance of power that one can find in nature (darkness-light, mechanical-organic), and work on tones and forms through contrasts.
My first paintings were completely geometric, virgin from any narration. Then, an impressionist piece of writing injured the totality of space, standing in opposition to it like a second skin. I then established a space between the two. From this conjugation, that was initially fixed on glass, and then on plexiglas, I expressed the nature-culture, tonality-form, mobile-immobile relationships.
Later, I introduced the concept of “cloning,” which allowed me to question “identity,” the relationship that the individual has with the world, and to interrogate “liberty.” Coming out of Roschach’s test, my technique, once adjusted, allows it to be combined with my game of light and darkness. This fact echoes my past (hate-love, appearing-being, ignorance-knowledge) and an allegory, Plato’s cave one.
The experience and reflection of my work do not fit into any artistic movement or trend. I made the term «post-synthetism» mine: I explain it as a permanent research of binary relationships and of hidden luminous essences, in order to render visible and transcend: “the extreme fusion of this diamond’s point,” of which René Char spoke. I touch through thought and I translate through the hand all of these sensible and opposing fragments, so that a rascal can then stretch it towards an idea of totality. I try to be a magician, a priest who equates the opposites in order to make them appear reconciled, through the line, color, form, in a supra-personal manner.
Finally, in my pictorial and sculptural universe, what is important is to always be vigilant to the unconscious ignorance of the created object, to feel and create the closest possible to the real while still being attentive to, and studying your own evolution.
“ Out of those who stay, and those who have passed on to the other side of the mirror, there you have an artist, or a man who has been released from his own chains. ”
NORG