Parcours


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« L’INTRA-PEINTURE DE NORG »

Christian NOORBERGEN – Critique d’art

L’ordinaire simplicité, fort heureusement, n’est pas son fort. Norg aime le non-dit, l’inextricable et le décalé. Les matières utilisées sont multiples, les techniques inventives, et leur prodigieux assemblage est si hasardeux et déroutant qu’il semble venir d’un autre monde où les normes culturelles seraient du côté de l’impensable.

Des territoires de technologie fantasmée entourent de bizarroïdes surgissements vaguement corporels, dynamiques et verticaux. Il n’y a guère de repères dans le monde libertaire, saisissant et décapant de Norg. Le regard s’aventure à vif dans ce voyage en incertitude. Des paysages évidés et lunaires débarrassent du trop-plein des évidences.
D’étranges et insaisissables totems côtoient d’improbables talismans, tant cet art incroyablement pluriel et personnel paraît chargé d’intime magie agissante. Mais les clés ont disparu. Le graphisme est tonique et ludique, comme si le plaisir du chaos pouvait en finir avec l’ordre étouffé des choses.

Mais le monde Norg s’organise au sein de ce chaos porteur de vie et de non-sens. Norg se moque et se moquera de l’ordre et du désordre jusqu’à la fin des temps. Il crée à hautes doses de l’oxygène mental, et la déroute intello est si jouissive qu’elle oblige le regard dessalé à se nourrir d’énigme et de surprise.

Si l’éclat est l’alphabet de base de cet extra-terrestre dans son intra-peinture, la transparence, jusqu’au malaise, ajoute au mystère qui s’impose. Elle n’éclaire pas, mais elle permet d’entrer dans un no man’s land miraculeux où des cellules humaines seraient fusionnées à de fines machineries robotisées. La forme et l’informe ne feraient qu’un pour fabriquer un monde ironique, scabreux et lunaire.

Norg s’ouvre joliment au hors-sens, le seul au fond qui fasse vivre les vraies créations. Et la chromatique, allusive et fragile, est d’une indicible finesse.


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« L’INTRA-VIE DE NORG »

A l’origine, mon ancêtre était allumeur de réverbères. Au XIX siècle, il allumait ou plutôt j’oserai dire il illuminait la nuit. Il introduisait de la lumière dans le noir d’une façon linéaire. Cet homme qui était mon arrière, arrière-grand-père exécutait son rôle social suivant un parcours balisé et un itinéraire banalisé. Pendant des années, il répétait donc machinalement ce geste : porter une flamme pour illuminer chaque nuit venant.

On peut imaginer que le cerveau ritualisé de cet homme a peut-être inscrit une empreinte dans mon processus de création : réveiller le noir pour éteindre la flamme et faire le passage avec le jour.
Cette réflexion sur mon archéologie mentale me permet aujourd’hui d’éclaircir ma conscience et de mieux comprendre instinctivement la force de la lumière sur l’incompréhensible, voire la forme noire du chaos irraisonné.
Avec le recul et la maturité, je peux aujourd’hui affirmer que l’empreinte de cette histoire familiale nourrit et donne du sens à ma création.

Par ailleurs, la mythologie et la philosophie sont aussi les sources de ma réflexion créatrice.  La chouette, oiseau d’Athéna, symbolise la connaissance rationnelle, l’intelligence, le don de clairvoyance et la réflexion qui domine les ténèbres.

Le philosophe allemand Friedrich HEGEL (1770-1831) précise que « la chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit. Ainsi la philosophie, animal du soir, inspiratrice des travaux finis, ne réfléchit aux formes de la vie que quand ces formes de la vie sont mortes ».

Philosopher, c’est au moins durant quelque temps, cesser d’être dans le feu d’action afin de méditer calmement sur tous les êtres humains qui ont vécu et créé au cours de leur histoire.

Jusqu’à l’âge de 25 ans, j’étais dans la nuit de l’ignorance et un être paumé. Puis le début de ma conscience raisonnée a développé la lumière du sens, cherchant à comprendre le pourquoi du pourquoi. Jusqu’à l’adolescence, j’ai eu une vie normale. Puis, tout a basculé.  J’ai quitté l’école et je suis rentré dans une masse sombre. Je suis rentré en apprentissage de pâtisserie du jour au lendemain. J’étais isolé du collectif de l’école et je subissais une violence paternelle qui ne faisait qu’augmenter. J’ai perdu toute forme d’estime de moi et j’étais plein de haine envers moi-même et envers les autres. Tout ce vécu a développé une allergie très forte contre l’autorité. Cela a duré des années. J’ai raté mes examens et j’ai refoulé de nombreux épisodes de ma vie.

J’ai appris d’autres métiers manuels, avec une chape de vide, dans un brouillard toujours plus envahissant. J’étais un homme brisé qui s’ignorait, déstructuré et traversé par des pulsions de mort et des fantasmes mortifères. Mais, ces différentes expériences m’ont transmises une connaissance affûtée des matériaux et des outils.

Quelques années plus tard, la rencontre avec un professeur de philosophie et de français et la fréquentation régulière d’un psychiatre ont été déterminants dans ma vie et m’ont permis de me redresser, grâce à la culture que je dévorais. Je me suis réveillé, sortant du gouffre relationnel et j’ai repris contact avec ma famille.

Tout ce parcours explique pourquoi je suis si sensible à l’équilibre des contraires et toute ma pensée artistique est basée sur l’idée de contraste : les tons froids et chauds, les formes rondes et carrées, l’ombre et la lumière, la mécanique et l’organique.

Armé de mes pinceaux  et la plume à la main, comme deux épées de guerrier, j’ai pu marcher vers une illusion d’infini, ignorant encore l’incommensurable immensité à parcourir en traquant une surface, toile et feuille blanche, mes champs de bataille, y mêlant mes noires expériences où je marchais pour guérir. Ainsi, j’ai pu concevoir le paradigme de ma réflexion en lien avec l’idiosyncrasie de mon passé.

J’ai réfléchi et j’ai conçu un système fondé sur trois trilogies formant elles-mêmes une géométrie : un carré dans un cercle qui cristallise une matrice, métaphore de soi et du monde. (Voir illustration de Norg). A partir de ce moment-là, j’ai pu commencer réellement à créer à partir de cette construction qui est pour moi une matrice. Il m’a semblé intéressant d’insuffler sur l’histoire de ces trois forces de vie (fondamentaux, couleurs, psyché), la poétique de ma sensibilité en y introduisant différentes techniques (huile, acrylique, dessin…) d’autres dispositifs et les sensibles rapports de force que l’on trouve dans la nature (ombre-lumière, mécanique-organique), et travailler sur les tons et les formes par contraste.

Mes premières toiles furent totalement géométriques, vierges de toute narration. Ensuite, une écriture impressionniste balafra la totalité de l’espace, par opposition comme une deuxième peau.

Plus tard, j’ai introduit un concept, « le clonage » qui me permet de
questionner « l’identité », le rapport de l’individu au monde et d’interroger « la liberté ». En partant du test de Rorschach, ma technique mise au point, permet de la combiner à mon jeu d’ombres et de lumières. Cela fait écho à mon passé (haine-amour, paraître-être, ignorance-savoir) et à une allégorie, celle de la caverne de Platon.

L’expérience et la réflexion sur mon travail ne rentrent dans aucun mouvement ou courant artistique.  Je me suis approprié le terme de post-synthétisme que j’explique par la recherche en permanence des rapports binaires et de l’essence lumineuse cachée pour la rendre visible et la transcender : « la fusion extrême de ce point diamanté » dont parle René Char.

Je touche en pensée et je traduis par la main, tous ces fragments sensibles et opposés, tel un passeur pour tendre vers l’idée de totalité. J’essaie d’être un magicien, un prêtre qui égalise les contraires pour les faire apparaître, conciliés, par la ligne, la couleur, la forme, de façon supra-personnelle.

Finalement, dans mon univers pictural et sculptural, l’important est d’être toujours  vigilant  à l’ignorance inconsciente de l’objet crée et de sentir et de  faire au plus près du vrai en étant toujours à l’écoute et à l’étude de son évolution…

« De ceux qui sont restés et ceux qui sont passés de l’autre côté du miroir, c’est cela un artiste ou un homme délivré de ses chaînes »

NORG